carte (c) Petroleum Economist
Les médias occidentaux s’intéressent depuis quelques mois à la République du Mozambique, ce pays de 30 millions d’habitants baigné par l’océan indien. C’est que depuis trois ans le pays fait face à une insurrection armée dans la province de Cabo Delgado. Le pays ancienne province portugaise est habituée à ce type d’instabilité en raison de la guerre civile qui opposa la FRELIMO à la RENAMO soutenue par l’Afrique du sud. Malgré l’accord de paix de 1994, il y avait eu de nombreuses résurgences du conflit qui a affaibli l’état mozambicain et permis l’émergence de nouvelles menaces. Il subsiste ainsi une certaine instabilité dans le centre du pays liée aux éléments résiduels de la RENAMO.
Le pays régulièrement balayé par les ouragans dont Idai en 2019 est en proie aux difficultés économique et au sous-développement. L’état se trouve aussi dans une situation financière très délicate et souffre d’un manque de crédibilité vis-à-vis des autorités internationales. Une rébellion s’est développée dans la province de Cabo Delgado au nord-est du pays qui a pour capitale la ville de Pemba. Frontalière de la Tanzanie elle compte 2,5 millions d’habitants répartis sur 17 districts. Si le Mozambique est majoritairement chrétien près de 18% de sa population est musulmane ; ce taux atteint les 58% dans la province avec un chômage élevé et un sous-développement socio-économique sévère.
Un nouveau foyer d’instabilité
Le groupe Ansar al-Sunnah , est une organisation religieuse, qui est apparue dans la province de Cabo Delgado en 2015, puis s'est militarisée. En octobre 2017, le groupe mène sa première attaque contre le port de Mocímboa da Praia. Il attaque trois postes de police et s’empare d’armes et de munitions. Son objectif est d’harceler les forces de sécurité et civiles dans le but ultime serait d'établir un état islamique dans la province.
Le 4 juin 2019, la propagande de l'Etat islamique revendique pour la première fois une opération armée au Mozambique. De nombreuses attaques sont perpétrées, détruisant l’infrastructure étatique qui existait, incendiant les maisons des particuliers et volant le bétail. En décembre 2018, le bilan s’établissait déjà à 90 morts et un millier de maisons incendiées.
Cette semaine, les shebabs comme les ont baptisés la population locale ont capturé la ville de Mocímboa de Praia. Il s’agit de leur quatrième attaque contre le chef-lieu du district. 2 bases militaires près de la ville ont également été capturées. Mocímboa da Praia, ville d'origine d'une grande partie des chefs rebelles, est aussi une zone très stratégique pour les jihadistes, à une soixantaine de kilomètres seulement de sites de gaz naturels dont la valeur est estimée à 60 milliards de dollars. C’est une prise symbolique pour le mouvement islamiste qui souhaite en faire sa capitale.
Selon des médias locaux, les combattants islamistes ont débordé l’armée du Mozambique qui avait déployé ses forces spéciales appuysé par des mercenaires sud-africains. Les Forces Armées de défense du Mozambique (FADM ) auraient manqué de de munitions et le soutien aérien étaient trop loin pour arriver à temps. Le ministre de la Défense a déclaré « L’ennemi s'est infiltré dans plusieurs quartiers, habillé en civil et bénéficiant de diverses complicités, attaquant la ville de l'intérieur, provoquant la destruction, le pillage et le meurtre de citoyens sans défense, avec des manœuvres de sabotage et des attaques contre les moyens de secours navals à partir du port ». En juillet déjà une attaque avait coûté la vie à plusieurs soldats.
Les insurgés utilisent les recettes habituelles de la guérilla. Très mobiles, ils disposent maintenant de nombreuses armées récupérées, de drones et utiliseraient la population civile comme boucliers humains. Les attaques ciblent tant les civils que les forces de l’ordre. Plus de 210000 habitants ont fui la zone des combats. Il y aurait actuellement une vingtaine d’attaques par mois.
Les projets gaziers au Mozambique
Le Mozambique attise les appétits économiques du monde entier en raison de son potentiel de développement futur. Le principal projet vise à exploiter les gigantesques réserves de gaz découvertes au large des côtes du pays. Les djihadistes menacent désormais le projet gazier et les infrastructures liées à ce gigantesque projet qui se trouvent dans la province de Cabo Delgado.
Le 27 juin huit ouvriers d’une société sous-traitante du pétrolier français ont été tués dans une embuscade. Une double attaque contre le groupe pétrolier américain Anadarko avait eu lieu en février 2019. Les sociétés pétrolières habituées à évoluer dans des environnements difficiles ont renforcé leur sécurité et font appel à des sociétés privées en complément des FDS locales.
L’intervention des Forças Armadas de Defesa de Moçambique (FADM)
L’intervention des forces de sécurité mozambicaine a été depuis le début de cette insurrection trop faible par rapport à la menace croissante de ces groupes. L'État mozambicain a initialement considéré ces violences comme une menace à l'ordre public impliquant initialement la police de la République du Mozambique. Si les forces de sécurité ont réussi à conduire quelques opérations, détruisant des campements d’insurgés ; elles n’ont jamais pu porter de coups suffisamment sévères.
Les FADM sont un outil obsolète fragilisée par les confrontations récentes avec la RENAMO. Les FADM ne semblent donc pas en mesure de circonscrire cette insurrection alimentée sans doute par des financements extérieurs. Elles parviennent difficilement à contrôler les grands axes de circulation, Comme la plupart des armées engagées dans des opérations de contre-insurrection les FADM sont maintenant accusées de commettre de nombreux abus soumettant les populations au racket et commettant des actes de violence contre celles-ci. Les militaires mozambicains issus pour la majorité du sud du pays ne sont pas familiers de cette région.
L’action des sociétés de sécurité privées
Le recours aux private military company (PMC) a été rapidement envisagé en raison des difficultés des FADM à régler le problème. Le groupe russe Wagner est intervenu en 2019 à la demande des autorités du Mozambique en échange de potentiels contrats gaziers. La compagnie aurait déployé 200 opérateurs disposant d’équipements sophistiqués, dont des hélicoptères d’attaque MI-24 et de transport MI-171Sh. Ils ont d’abord opéré le long de la frontière tanzanienne avant de le faire à l’intérieur de la province. L’arrivée des russes aurait créé un appel d’air et des volontaires de plusieurs pays africains auraient rejoint le Mozambique particulièrement de Somalie. L’action russe aurait plutôt mis de l’huile sur le feu et aggravé la situation dans la province. Plusieurs russes ont été tués dans plusieurs embuscades et les relations avec les FADM se sont rapidement dégradées. Les mercenaires russes ont semblé ne pas être réellement adapté à la menace et aux conditions d’opération particulièrement dures de la région. Ils se sont retirés il y a plusieurs mois.
Frontier Service Group une société basée à Hong-Kong a fourni une paire de Gazelle anciennement de l’ALAT. Début avril, une d’entre elle (ZU-ROJ) a été abattue par les insurgés.
La société Dyck Advisory Group (DAG) fournit des services aériens au profit des FDS. La société a perdu un hélicoptère lors de l'une de ses premières sorties, mais a depuis lors été crédité d'avoir dissuadé une avance des insurgés sur Pemba et d'avoir soutenu les efforts des forces gouvernementales pour reprendre Macomia, fin mai et Mocímboa da Praia, fin juin. DAG a perdu un ULM Bat Hawk, près de Miangalewa en juin. Jusqu'à présent, l'efficacité des hélicoptères est entravée par la nécessité de faire le plein à Pemba au sud de la zone de conflit et à 185 km de Mocímboa da Praia. L’appui aérien a fait défaut lors de la bataille de Mocímboa de Praia. Une autre option de ravitaillement est la base militaire de Mueda, à 94 km de Mocímboa da Praia. Les hélicoptères de combat du DAG sont accusés de pertes civiles, en particulier dans la bataille de Macomia.
La société OAM international a aussi fourni des prestations au profit du gouvernement du Mozambique. Divers aéronefs mis en œuvre par les PMC ont été observés au Mozambique. Il s’agit notamment d’un UH-1 Huey, un Cessna Caravan, un Bell Long Ranger, un Diamond DA 42 et un ULM de reconnaissance CADG Helix. Erik Prince, bien connu dans le domaine des compagnies de sécurité est en lice pour « pacifier » la province de Cabo Delgado.
La réaction de la SADC
L’organisation de l’Afrique australe s’est déjà réunie pour évoquer la situation au Mozambique. Un sommet réunira demain, les chefs d’état. Des experts de l'Institut sud-africain d'études de sécurité (ISS) militent pour une « intervention urgente » de la SADC et de l'Union africaine pour mettre fin à cette situation. La Tanzanie est prête à renforcer son contrôle de la frontière. Jusqu’à présent, le gouvernement de Maputo préférerait une intervention de troupes du Zimbabwe mais pas de la SADC.
Toute la stabilité de la région est menacée et l’Afrique du Sud qui est la grande puissance économique africaine pourrait être la prochaine cible. La menace terroriste est déjà présente dans le pays. Le 23 juillet, la police a fait une descente près de Johannesburg et cinq terroristes présumés de l'Etat islamique ont été arrêtés. Les armes et le véhicule saisis lors du raid semblent relier cette cellule de l'Etat islamique aux fusillades du Nouvel An à Melville et Mary Fitzgerald Square, et à l'attaque d'une mosquée à Verulum près de Durban en 2018.
En conclusion, le terrorisme islamiste tente de poursuivre sa descente dans l’est du continent africain. Il s’appuie comme souvent une population musulmane qui a été négligée par le pouvoir central. Ansar al Sunna utilise le ressentiment de la population locale envers le pouvoir central accusé de corruption. Il est urgent pour les états de la région (SADC), d’agir car l'insurrection de Sunnah Wal Jamaah monte régulièrement en gamme au niveau militaire et deviendra un adversaire toujours plus redoutable dans les mois à venir.